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ALAIN, Émile-Auguste Chartier - Citations
Page mise à jour le 15 mars 2018
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Alain, Émile-Auguste Chartier, philosophe (1868-1951)
Quelques extraits des « Propos »
Gymnastique
« Comment expliquer qu’un pianiste, qui croit mourir de peur en entrant sur la scène, soit immédiatement guéri dès qu’il joue ? On dira qu’il ne pense plus alors à avoir peur, et c’est vrai ; mais j’aime mieux réfléchir plus près de la peur elle-même, et comprendre que l’artiste secoue la peur et la défait par ces souples mouvements des doigts. Car, comme tout se tient en notre machine, les doigts ne peuvent être déliés si la poitrine ne l’est aussi ; la souplesse, comme la raideur, envahit tout ; et, dans ce corps bien gouverné, la peur ne peut plus être. Le vrai chant et la vraie éloquence ne rassurent pas moins, par ce travail mesuré qui est alors imposé à tous les muscles. Chose remarquable et trop peu remarquée, ce n’est point la pensée qui nous délivre des passions, mais c’est plutôt l’action qui nous délivre. On ne pense point comme on veut ; mais, quand des actions sont assez familières, quand les muscles sont dressés et assouplis par gymnastique, on agit comme on veut. Dans les moment d’anxiété n’essayez point de raisonner, car votre raisonnement se tournera en pointes contre vous-même ; mais plutôt essayez ces élévations et flexions des bras que l’on apprend maintenant dans toutes les écoles ; le résultat vous étonnera. Ainsi, le maître de philosophie vous renvoie au maître de gymnastique.
(…) Notre corps nous est difficile en ce sens que, dès qu’il ne reçoit pas d’ordres, il prend le commandement ; mais en revanche il est ainsi fait qu’il ne peut être disposé de deux manières en même temps ; il faut qu’une main soit ouverte ou fermée. Si vous ouvrez la main, vous laissez échapper toutes les pensées irritantes que vous teniez dans votre poing fermé. Et si vous haussez seulement les épaules, il faut que les soucis s’envolent, que vous serriez dans la cage thoracique. C’est de la même manière que vous ne pouvez à la fois avaler et tousser, et c’est ainsi que j’explique la vertu des pastilles. Pareillement vous vous guérirez du hoquet si vous arrivez à bâiller. Mais comment bâiller ? On y arrive très bien en mimant d’abord la chose, par étirements et bâillements simulés ; l’animal caché, le même qui vous donne le hoquet sans votre permission, sera mis ainsi dans la position de bâiller, et il bâillera. Puissant remède contre le hoquet, contre la toux et contre le souci. Mais où est le médecin qui ordonnera de bâiller tous les quarts d’heure ? »
(Alain, Propos sur le Bonheur, XVII – Gymnastique)
Neurasthénie
« Un esprit subtil trouve toujours assez de raisons d’être triste s’il est triste, assez de raisons d’être gai s’il est gai ; la même raison souvent sert à deux fins.
Pascal, qui souffrait dans son corps, était effrayé par la multitude des étoiles ; et le frisson auguste qu’il éprouvait en les regardant venait sans doute de ce qu’il prenait froid à sa fenêtre, sans s’en apercevoir.
Un autre poète, s’il est bien portant, parlera aux étoiles comme à des amies. Et tous deux diront de fort belles choses sur le ciel étoilé ; de fort belles choses à côté de la question. »
(Alain, Propos sur le Bonheur, IV – Neurasthénie)
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