Le reggae, de Sœur Ignatius à Bob Marley
Page mise à jour le 30 août 2018
Le reggae, de Sœur Ignatius à Bob Marley
Sœur Ignatius (1921-2003) - © Courtesy of the Museum of Pop Culture, Seattle, WA
La Philharmonie de Paris [a accueilli] à bras ouverts [en 2017] le son de la Jamaïque, permettant de découvrir un creuset musical bien plus large que le reggae.
La belle figure d’une Sœur de la Miséricorde qui a donné le goût de jouer à des dizaines d’orphelins est mise en lumière.
Nathalie Lacube - 08 mai 2017 [https://archive.is/mfIMP]
Jamaica, Jamaica !
Philharmonie de Paris
Dans l’exposition, on ne voit d’elle qu’une seule photo, pas bien grande, et un peu floue. Sœur Ignatius y apparaît dans son strict habit de religieuse, avec son voile blanc, ses lunettes et de plates chaussures noires. Raide, collée contre un mur, la religieuse catholique fixe l’objectif avec sérieux. Qui pourrait l’imaginer en « mère du ska », l’ancêtre du reggae ?
La musique comme exutoire et levier éducatif
C’est une des merveilles, et non des moindres, de cette belle exposition que d’élargir le regard bien au-delà des clichés sur les musiques jamaïcaines, pour en montrer la diversité, des origines à aujourd’hui.
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Voilà donc une Sister of Mercy (Sœur de la Miséricorde) de Kingston, Jamaïque, née Mary Davies en 1921, devenue Sœur Ignatius lors de ses vœux à 17 ans, affectée à l’orphelinat que gère sa congrégation. On y trouve des enfants qui ont grandi à l’école de la rue, turbulents, sans repères.
Sœur Ignatius va leur donner un horizon, celui du programme Music in Education dont elle s’occupera pendant des années. Mélomane, disposant d’une incroyable collection de disques, avec un goût prononcé pour la « modernité » du blues, du gospel, du jazz et des musiques caribéennes (mento, calypso), la directrice musicale de l’Alpha Boys’School dispensera avec autorité un enseignement musical classique, tout en enrôlant dans l’orchestre de l’école des orphelins subjugués par son charisme.
Des héritiers fameux
Sœur Ignatius a appris la musique au tromboniste Don Drummond, aux saxophonistes Tommy McCook et Lester Sterling, et au trompettiste Johnny “Dizzy” Moore, les quatre membres fondateurs des Skatalites, groupe mythique de ska, le « premier phénomène musical jamaïcain de portée mondiale », explique Sébastien Carayol, commissaire de « Jamaica, Jamaica ! ». Elle a aussi formé Leslie Thompson, le premier chef d’orchestre noir du London Symphony Orchestra.
Jusqu’à sa mort en 2003, elle est restée une référence pour la plupart des grands artistes venus de
« [cette] île minuscule, dont la musique, au rayonnement international, a irrigué toutes les musiques urbaines, le sound system, le rap, le hip-hop… »
rappelle Sébastien Carayol.
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Des Jamaïcains vus par un Jamaïcain
Désireux de « montrer la richesse des musiques de la Jamaïque dans leur ancrage géographique et social », le commissaire a conçu son exposition en sept grands thèmes remontant aux racines de Xaymaca (la terre de l’eau et du bois) des Indiens Arawak, découverte par Christophe Colomb en 1494.
Voulant « inviter les Jamaïcains à présenter eux-mêmes leurs musiques et leurs œuvres », il a accueilli en résidence à Paris, avec le soutien de l’Institut français, Danny Coxson, artiste de rue de Kingston. Celui-ci a peint sur les cimaises de la Philharmonie de grands portraits colorés des icônes du son jamaïcain. Elles sont nombreuses, ce qui permet aux visiteurs de l’exposition « d’explorer la forêt » cachée par « l’arbre » Bob Marley (1945-1981) la première superstar issue du tiers-monde.
Des objets cultes pour une exposition interactive
Les collectionneurs pourront s’ébahir devant trois guitares sur lesquelles a joué Bob Marley, la batterie des Wailers (son groupe), les rumba boxes (lamellophones) qui dispensaient leur rythme dans la rue, la guitare en forme de fusil-mitrailleur de Peter Tosh, musicien insoumis assassiné en 1987 à Kingston, les dizaines de vinyles exposés, le tee-shirt porté par Jimmy Cliff dans le film The Harder They Come, qui a fait connaître le reggae en 1971, les peintures sur bois affichées dans les rues pour inviter aux soirées dancehall.
Les musiciens se réjouiront d’entendre résonner partout le skank, ce contretemps propre au reggae. Ils pourront créer leur propre musique sur Dub it yourself, une série d’instruments et d’enceintes prêtées par l’association anglaise Let’s Go Yorkshire.
Une dimension spirituelle
Les simples visiteurs découvriront, eux, une musique à la très forte dimension spirituelle, qui mêle influences chrétiennes et africaines, danses et chants, sensualité et rébellion. Une musique qui s’entend à chaque étape du voyage proposé, et qui est encore le meilleur atout de cette exposition.
Les belles voix graves, les rythmes lancinants, les mixages inventifs et la spiritualité d’un chant venu d’une île déshéritée des Caraïbes qui a su transcender les malédictions de l’esclavage, de la pauvreté et de la violence pour inventer une épopée musicale unique.
► Lire aussi Dylan Corlay, du reggae à la direction d’orchestre [https://archive.is/QENPO]
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LA JAMAÏQUE EN MUSIQUE
L’exposition « Jamaica, Jamaica ! De Marley aux deejays » s'est tenue à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris jusqu’au 13 août 2017
► Renseignements : www.philharmoniedeparis.fr
Le catalogue de l’exposition, signé Sébastien Carayol et Thomas Vendryes, a été coédité par La Découverte (290 p. 39 €)
Le magazine Les InRocks a publié Une histoire du reggae (100 p. 8,50 €)
Le disque : Le collectif Inna de Yard, qui regroupe les plus grands musiciens jamaïcains s’est réuni en janvier 2017 à Kingston pour enregistrer The Soul of Jamaica, un CD Wagram/Chapter Two (14,55 €).
► Voir sur YouTube Inna de Yard - "The Soul of Jamaica" Part 2
Les concerts : Inna de Yard était en tournée en France en 2017, avec de très nombreuses dates, dont La Réunion (2 juin), Lyon (14 juillet), le Havre (22 juillet), Bordeaux (5 août), Paris (27 octobre)…
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