• 3-Mensur (Allemagne)

    La Mensur est née aux alentours du XVIe siècle, avec la nécessité de protéger les étudiants des brigands pouvant les attaquer sur les routes. Ils sont autorisés à porter une épée à la ceinture. Mais très vite, la moindre querelle est l'occasion de mesurer sa bravoure... avec pour résultat un nombre important de décès d'étudiants par perforation pulmonaire. Au fil du temps, les gouvernements allemands ont œuvré pour limiter le nombre de morts en imposant des règles sous la forme d'une escrime codifiée.

    1Mensur 1888-1889 duellistes (auteur inconnu Wikipédia)

    Les duellistes se positionnent avec une main placée derrière le dos et l'épée au-dessus de la tête, tandis que les arbitres, protégés par leurs bras gonflés de protections, se tiennent prêts à intervenir avec leurs rapières, ici entre deux fraternités étudiantes allemandes de Göttingen (Basse-Saxe) en 1888-1889.

    Dans une pièce peu fréquentée de l'université, des étudiants de différentes fraternités se réunissent. On décroche les tableaux et on protège les murs et décorations des éventuels jets de sang par une bâche. Les duellistes sont préparés par l'audience. Assis sur une chaise, des étudiants s'empressent de les aider à enfiler une veste matelassée qu'ils font surmonter d'une cotte de mailles. Le cou est protégé par une minerve en cuir, tandis que les mains s'insèrent dans des gants de chevalier. Enfin, des lunettes d'aviateur, sorties tout droit d'un roman de Jules Verne, couvrent le visage.

    2Mensur 2004 préparation d'un duelliste (Czestomir Wikimedia Commons)

    Préparation d'un duelliste avant une Mensur opposant des membres d'une fraternité polonaise à ceux d'une fraternité allemande (photographie datant de 2004). Le corps est amplement protégé par une armure, à l'exception de la tête qui reste nue.

    Les protagonistes ainsi vêtus, et sous l'œil d'un public éméché, le duel commence. D'incessants fracas de métal retentissent. Les rapières tranchantes virevoltent à une cadence infernale. Tel un jeu de roulette russe, la tension ne cesse de monter à chaque coup, tandis que les combattants voient leurs traits tirés par la concentration mettant leurs nerfs à vif.

    Soudain, du sang est projeté sur le sol et l'entourage. Un des rasoirs a touché sa cible, le visage, le seul endroit autorisé et non protégé par l'imposante armure. Instantanément, deux hommes faisant office d'arbitres opposent leurs bras gonflés d'un confortable gambison pour stopper les épées.

    3Mensur 1920 env. joues, menton, lèvres et front tranchés (AK Clubhausia)

    Photo de groupe de la corporation étudiante Corps Saxonia Karlsruhe, autour de 1920 via AK Clubhausia de l'université Ernst-Bloch de Tübingen. Les rapières, appelées Mensurschläger, sont particulièrement aiguisées et peuvent trancher profondément les joues, menton, lèvres et front.

    On examine le blessé. La balafre, souvent portée sur les lèvres, la joue ou le front, est cruelle, bien que superficielle. L'opposant touché, dont la face et l'armure sont devenues rouge vif, peut continuer. Le balai des lames, semblables à deux hélices, tournoie à nouveau.

    Vous venez d'assister à la "Mensur" ou, de manière plus pédante, "l'escrime académique allemande", un duel à l'épée pratiqué par les "Studentenverbindung", des corporations estudiantines allemandes à la réputation sulfureuse, semblables aux faluchards dans la manière passéiste de s'habiller et aux beuveries sans fin.

    [de] https://www.youtube.com/watch?v=lUh5exBJXBU (02 août 2011)

    Pour qu'un étudiant soit recruté, il faut que celui-ci soit obligatoirement un homme – aucune femme ne saurait être tolérée – de nationalité et de culture allemandes (et de préférence avec une situation financière avantageuse ou provenant d'une famille aisée).

    Histoire de la Mensur

    La Mensur est née aux alentours du XVIe siècle, avec la nécessité de protéger les étudiants des brigands pouvant les attaquer sur les routes menant aux universités. Ils étaient ainsi autorisés à porter les armes sans être d'ascendance noble. Très vite, les épées portées à la ceinture deviennent l'extension du membre viril. La moindre querelle est l'occasion de mesurer sa bravoure en défendant son honneur. En résulte un nombre important de décès d'étudiants par perforation pulmonaire.

    Au fil des décennies, les gouvernements allemands ont donc œuvré pour limiter le nombre de morts en imposant des règles sous la forme d'une escrime codifiée. Il y eut des périodes d'interdiction tout au long de l'histoire sans parvenir à arrêter ces duels à l'épée. Car chez les étudiants allemands de l'époque, un homme se doit de connaître le combat et de l'avoir pratiqué, que ce soit par la guerre ou par la Mensur.

    Pour en faire des hommes, les duellistes sont poussés à se rapprocher d'une longueur de bras sans jamais s'éloigner. L'esquive, le pas de retrait, voire simplement un sursaut du buste ou de la tête, sont interdits. Ils sont considérés comme une manière déshonorante de montrer sa peur en s'échappant de l'inévitable blessure. En escrime académique allemande, les hommes prennent leurs responsabilités en accusant les coups avec dignité, sans être affectés par la peur ou la douleur. En soi, le but n'est pas tant de gagner un duel ou même d'infliger le plus de coups à l'adversaire : il s'agit surtout de prouver sa bravoure en tenant jusqu'au bout.

    Le culte de la cicatrice

    L'ultime reconnaissance de virilité consiste à porter la Schmiss ou "cicatrice de duelliste". Ces énormes balafres au visage sont facilement identifiables et les preuves formelles qu'une personne a connu un passé de duelliste. Ces cicatrices faisaient l'objet d'un véritable culte, auxquelles on prête de nombreuses vertus.

    4Mensur sept.1943 Otto Skorzeny arborant une cicatrice de duelliste (Archives numériques nationales Pologne)

    Portrait de l'officier allemand et commando SS Otto Skorzeny arborant une cicatrice de duelliste (photographie septembre 1943) – Auteur inconnu, Archives numériques nationales de Pologne via Wikimedia Commons.

    Le chancelier Otto von Bismarck aurait dit que la valeur d'un homme se mesure au nombre de cicatrices qu'il porte sur le visage. Un homme ayant une Schmiss plaît aux femmes et serait un choix de mari idéal. Avant guerre, le fait de porter une Schmiss permettait d'obtenir les meilleures places dans l'administration. On allait jusqu'à bâcler les sutures, voire même s'auto-mutiler pour montrer un visage découpé.

    Une rumeur tenace veut que Karl Marx lui-même ait pratiqué l'escrime durant ses années d'études à l'université de Bonn. On raconte même que sa barbe servirait à cacher une marque dont il aurait honte.

    Vérité ou exagération, de nombreux notables allemands des XIXe et XXe siècles s'affichent avec une Schmiss sur leur portrait. De là est né le stéréotype de l'officier nazi balafré. Ironique sachant qu'Adolf Hitler a fait interdire les fraternités pratiquant l'escrime, les accusant d'accointance avec la noblesse.

    Aujourd'hui

    Réapparue progressivement après la Seconde Guerre mondiale, la Mensur est de nos jours pratiquée par plus de 400 corporations estudiantines à travers plusieurs pays dont la Suisse et la Belgique. Le caractère clandestin de ce sport n'est qu'une illusion cultivée par les étudiants. En effet, la pratique est aussi légale que la boxe. Et les fraternités organisent régulièrement leurs entraînements et duels dans des locaux dédiés.

    Cependant, du fait des a priori et spéculations autour des fraternités, les étudiants préfèrent cacher leur appartenance à une corporation pratiquant l'escrime. À l'instar des confréries secrètes, rares sont les personnes extérieures autorisées à observer une Mensur. Ainsi, aucune vidéo ni photographie contemporaine ne circule de manière visible sur Internet. Bien que la majorité des corporations se détachent des groupes d'extrême droite et refusent toute association avec une idéologie nationaliste, les préjugés subsistent et pèsent durement sur leurs membres.

     

    Documentation pour aller plus loin

    [en] https://www.youtube.com/watch?v=C4i8SJWByWA (26 mars 2021)

    "A Tramp Abroad" chapitre V, de Mark Twain, publié en 1880.

    "Die Waffen Hoch! The Resiliency of Academic Fencing in Germany" (PDF) thèse de Patrick Young, du département d'histoire de l'université de Floride, 2011.

    "Associations masculines" (PDF) texte d'Édith Campi, paru dans la revue Figures de la psychanalyse n°223 (2012) pp 147 à 154.

    "Dueling Scars: The Nazi Officer Badge of Honor" article de J. Scull, publié sur HubPages en octobre 2022.

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    Source : largement d’après Slate.fr (21/06/2023)

    D'Allemagne

    La boxe à cheval (Boxe)

    Ringen (lutte sans épée) dans Escrime : codex et traités

    Voir aussi

    Du combat au duel (Escrime)

    Entre sport et violence

     

     

     

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