• Haïku


     Mont Fuji, symbole du Japon (4ever.eu)

     

    « Ces petits poèmes japonais - trois vers, c'est tout - me fascinent pour ce qu'ils sont sans en avoir l'air. [...] Je n'aime pas que l'Occident les attire dans ses filets de métaphores et de syllogismes, comme il ne s'en est pas privé jusqu'ici - surcharge symbolique où les haïku perdent le meilleur d'eux-mêmes : cette faculté de se situer naturellement en deçà de la littérature. »

    Maurice Coyaud,
    Fourmis sans ombre : le livre du haïku

     

    Les 4 piliers du Haïku

    Bashō, Buson, Issa et Shiki, sont considérés comme les quatre maîtres classiques du haïku  [prononcez haïkou] japonais. Voici pour commencer un bref historique pour vous servir de repère.

     

    Bashō (1644-1694)

    Le pionnier


    https://hi.co/people/basho

    Bashō Matsuo (松尾 芭蕉 Matsuo Bashō), plus connu sous son seul prénom de plume Bashō (芭蕉 « Le Bananier ». Sur sa tombe, on plantera d'ailleurs un bananier) est un poète japonais du XVIIe siècle (début de l'époque d'Edo). De son vrai nom Kinsaku Matsuo (enfant) puis Munefusa Matsuo (adulte), il est né en 1644 à Iga-Ueno et mort le 28 novembre 1694 à Ōsaka.
    Auteur d'environ 2 000 haïkus, influencé par Akira Kisaï [1], Bashō rompt avec les formes de comique vulgaire du haïkaï-renga du XVIe de Sōkan [2] en proposant un type de baroque qui fonde le genre au XVIIe en détournant ses conventions de base (Bashō reprend le hokku ou premier tercet 5-7-5 - mais pris comme poème à part entière -, le kigo ou mot de saison, le kireji ou mot de césure, tous hérités de la poésie ludique depuis Sōkan) pour en faire une poésie plus subtile qui crée l'émotion par ce que suggère le contraste ambigu ou spectaculaire d'éléments naturels simples opposés ou juxtaposés (Wikipédia)

    [1] Akira Kisaï (Les Chants de l'Alouette immobile), était un poète mystique japonais du XVIIe siècle, fils du martyr Jacques Kisai, funambule entre repli identitaire et Occident chrétien. Akira Kisaï se crée un chemin entre 2 siècles, entre 2 mondes, entre 2 émotions, et laisse sous chacun de ses pas un poème.

    [2] Poète japonais (1465-1553), Sōkan (山崎 宗鑑 Yamazaki Sōkan, 宗鑑 « Méditation ») rompt avec les formes compassées de la poésie renga en développant le haïkaï no renga (ou haïkaï-renga, « renga comique »), un genre de poésie collaborative basée sur la surprise et sur un comique volontiers vulgaire, forme qu'au siècle suivant Bashō fera évoluer vers l'ancêtre du haïku.
    Sōkan est aussi l'auteur de la première compilation de haïkaï-renga à être imprimée, et de la deuxième du genre (Wikipédia)

     

    Buson (1716-1783-84)

    Le peintre

    Buson Yosa (与謝 蕪村 Yosa Buson), né Buson Taniguchi en 1716, décédé le 25 décembre 1783, plus connu sous son seul nom Buson (蕪村 littéralement « Village Rustique »), poète et artiste-peintre japonais bunjin-ga du XVIIIe siècle (milieu époque Edo).
    Auteur d'environ 3 000 haïkus, Buson rompt avec les formes baroques du XVIIe siècle de Bashô en proposant un type de classicisme qui renouvelle le genre au XVIIIe siècle en se basant sur l'ordinaire pour décrire l'essence des choses.
    Il est également l'inventeur du haïga (ou haiga, peinture accompagnée d'un haïku) - Wikipédia


    Buson (Haiga)
    Petit coucou s'approche d'un hydrangea
     
    Buson (Bunjin-ga)
    Deux corneilles noires et un épervier

    Issa (1763-1827-28)

    Le génie de la dérision


    Issa par Muramatsu Shunpo (1772-1858)

    Issa Kobayashi (小林 一茶 Kobayashi Issa), plus connu sous son seul prénom de plume Issa (一茶 signifiant « une (tasse de) thé »), est un poète japonais du XIXe siècle (fin de la période Edo). De son vrai nom, Nobuyuki Kobayashi (alias Yatarō comme prénom d'enfance), il est né le 15 juin 1763 dans le village de Kashiwabara (qui fait aujourd'hui partie du bourg de Shinano) dans la province de Shinano et y meurt le 05 janvier 1828.
    Auteur d'environ 20 000 haïkus en quasi-totalité composés au XIXe siècle (moins de 500 haïkus et moins encore publiés avant 1801), Issa rompt avec les formes de classicisme du XVIIIe de Buson en proposant un type de romantisme qui renouvelle le genre en y infusant l'autoportrait, l'autobiographie, et le sentiment personnel (Wikipédia)

    Humoriste [comme Buson] Issa fait son habituelle compagnie des poux, des puces et autres bestioles peu aimables. [...] Cinq mois [environ avant qu'il ne meure] sa maison avait brûlé : il avait tout perdu, sauf ses puces.

    Après l'incendie les puces
    De bondir et rebondir
    Quel chahut !

    Issa, il faut le dire, a le génie de la dérision

    Dans mon abri
    Les souris copinent
    Avec les lucioles

    Les oies sauvages vocifèrent
    Chacune se charge
    De sa publicité

    Comme ils sont beaux
    Les champignons
    Les tueurs

    (Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre : le livre du haïku)

     

    Shiki (1867-1902)

    Le grand réformateur


    Shiki (photo date non établie)

    Shiki Masaoka (正岡 子規 Masaoka Shiki), né Tsunenori Masaoka, plus tard Noboru Masaoka (17 septembre 1867 à Matsuyama (Ehime) – 19 septembre 1902 à Tokyo), était un poète, critique et journaliste japonais de la fin du XIXe (ère Meiji) dont les œuvres ont marqué le XXe siècle. Il est plus connu sous son seul prénom de plume Shiki (子規 signifiant « Petit Coucou »).
    Théoricien rénovateur et innovateur des formes poétiques haïku et tanka, il leur a donné leur noms modernes. Auteur d'environ 25 000 haïkus composés dans les dernières années du XIXe mais qui caractériseront à titre posthume le XXe, Shiki rompt avec les formes de romantisme du XIXe de Issa en proposant un type de modernisme qui relance le genre en insistant sur l'objectivité du croquis sur le vif d'après nature (shasei) et la liberté.
    Il est considéré comme « le père du haïku moderne » (Wikipédia)

    Vient bientôt l'ère du changement. C'est Shiki qui sera le grand réformateur.
    Il dénonce la dévotion intimidante que ses semblables vouent à Bashô
    [Buson lui voue une véritable vénération :
    - Bashô nous a quittés / Depuis lors / L'an ne s'est pas terminé] ;
    mais surtout, il admet qu'on puisse contrevenir à la stricte observance de la règle syllabique 5-7-5.
    En 1892, il fonde la revue Hototogisu - « Coucou » (les Chinois croient que le coucou crache le sang, or Shiki mourra phtisique [- de tuberculose -] à trente-six ans).
    Il ne laisse pas moins de quatre-vingts essais critiques consacrés au haïku : il s'y révèle un modernisme convaincu, qui n'hésite pas le cas échéant à ouvrir sa poésie aux vocables « barbares » :

    J'éteins la lampe à pétrole
    J'allume la lanterne de papier
    Cris lointains des grenouilles

    Au vent printanier
    Je crache rouge
    Le dentifrice

    (Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre : le livre du haïku)

     

     

    Trois petits vers et puis c'est tout

    [Maurice Coyaud, dans son ouvrage Fourmis sans ombre : le livre du haïku (voir plus bas, Sources)]

    « Certes avons-nous de quoi être déroutés par cette poésie qui occupe si peu de place [...] nous autres Occidentaux si anxieux d'exploiter le champ complet du discours et des discours, toujours prêts à expliciter nos paroles par d'autres paroles [...] L'idéal japonais du yûgen (mystère ineffable) est très exactement l'opposé ; le créateur qui s'en réclame évite soigneusement de jamais dépasser le seuil de la simple suggestion, attentif d'abord à laisser les portes du sens grandes ouvertes.

    Ainsi, Bashō [1644-1694] qui se refuse à dire la trop évidente splendeur du mont Fuji ; la seule fois qu'il se risque à l'évoquer dans un haïku, c'est comme par hasard jour de brouillard :

    Brume et pluie
    Fuji caché. Mais cependant je vais
    Content

    (Trad. G. Bonneau,  Le Haïku par Bashô et Issa [1763-1828]. Paris, Geuthner, 1936) »

    [GOSHIN BUDOKAI propose :

    Brume et pluie
    Fuji caché maintenant
    Je vais content (Bashô)]


    Traditionnel malaisien

      [Le laconisme des haïku se retrouve dans les attitudes de vie des extrême-Orientaux. Mon fils, revenant de Malaisie, m'a expliqué que les gens là-bas ne s'expriment pas toujours avec les mots, les paroles. En revanche, l'habillement est un mode de communication de choix. Telle couleur, telle façon de porter son vêtement, la position de la coiffe sur le haut du crâne, en disent plus long que des phrases. Par exemple, un jeune homme qui désire rencontrer une jeune fille, attachera, entre autres arrangements, sa ceinture de façon à ce que le nœud ressemble à une belle fleur... Malheureusement, cette culture tend à disparaître, et c'est bien dommage ; quelle leçon pourrions-nous en tirer, nous qui sommes si bruyants et bien peu à considérer notre prochain, tout occupés que nous sommes à cultiver notre petit ego...]  
     

    « L'humour est là pour nous rappeler que les mots ont tendance à pécher par excès : qui veut trop dire ne dit rien. À l'inverse, il n'est pas toujours vain de se mettre à l'écoute de ce qui a l'air de ne rien dire [...]

    Chauve-souris
    Cachée tu vis
    Sous ton parapluie cassé (Buson, 1716-1783)

    Des évidences

    Les yeux sont à l'horizontale
    Le nez est vertical
    Les fleurs viennent au printemps (Onitsura)

    Quand il souffle de l'ouest
    Elles se réfugient à l'est
    Les feuilles tombées (Buson)

    Un conseil

    Même si tu as froid
    Ne te chauffe pas au feu
    Bonhomme de neige (Sôkan)

     

    [...] Nous savons que le haïku a longtemps trouvé sa place naturelle dans ces « récits de voyage » où il figurait un peu comme une pause au tournant du chemin : instant immobilisé où le marcheur s'arrête, où le regard capte une impression fugitive, où la fatigue trouve un baume inattendu dans le repos des choses [...]

    Rien de plus que la saisie éphémère d'un instant : prêt à être oublié, à jamais inoubliable [...]

    Moments de la vie

    L'enfant essayait
    De garder des gouttes de rosée
    Entre le pouce et l'index (Issa)

    Il lèche la cuiller
    Le gamin avec délices
    Sorbet. L'été (Seishi)

    Gelée blanche, désolation
    Le chien du village aboie après
    Une folle (Shiki, 1867-1902)

    Épisodes instantanés

    La lune s'avance. On entend
    Sur les mûriers des grignotis :
    Les vers à soie (Shôha)

    Mon manteau de paille chaque matin
    Je le secoue et fais s'envoler
    Les lucioles (Ransetsu)

    Sur le dos
    Du cheval, sacs de saumon
    Sec, sacs de charbon (Buson)

    Rizières froides
    Je voyage à cheval
    Mon ombre rampe à terre (Bashô)

    Seul au monde
    Tristesse ! seul avec
    Ma bouillotte (Shikô)

    Dos au vent
    Il coupe des roseaux
    Le vieux (Buson)

    Un voleur nez-à-nez avec
    Un renard
    Champ de melons (Taigi)

    Avec des lutteurs * nus
    Couchés en rang d'oignon
    Roupillant, quelle chaleur ! (Ritô) »

    * Des lutteurs de sumô, lutte traditionnelle au Japon : il s'agit de faire tomber l'adversaire, ou de le pousser hors d'un cercle tracé sur le sol (note de l'auteur). Voir Sumo (Japon).

     

    [Et tant d'autres ! Il y en a des triviaux :
    - Occupé à transplanter les pousses / Il va pisser dans la rizière / Du voisin (Yayû)

    ou mêlant des expressions poétiques à des termes plus terre-à-terre :
    - Dans ce monde de rêves / Je cultive des oignons / Solitude (Kôi),

    ou encore frisant l'impertinence ou l'irrévérence :
    - Du nez du Grand Bouddha / S'envole / L'hirondelle (Issa)...]

     

    [Poursuivons avec GOSHIN BUDOKAI]

     

    Le zen et l'art du haiku

    « Le haiku est la forme de poésie la plus brève de toute la littérature mondiale, mais ses trois petits vers de cinq, sept et cinq syllabes (malheureusement toujours déformés par la traduction *) permettent d'exprimer des sentiments profonds et des éclairs soudains d'intuition.

    * Voir, à propos des traductions, L'enfer de la subjectivité : « Trois traducteurs, trois époques et trois versions : voici, d'après l'original italien, les premières lignes de La divine comédie de Dante »
    Dans l'article de Gigeoju : Sémantique, éthique et piques.

     

    Il n'y a aucun symbolisme dans le haiku. Il saisit la vie comme elle s'écoule. Il n'y a pas non plus d'égotisme ; l’auteur n’est jamais valorisé. Mais dans l'intérêt porté à la trame simple, apparemment insignifiante, de la vie quotidienne (une feuille qui tombe, la pluie, une abeille), le haiku nous apprend à ressentir la vie des choses et nous offre un avant-goût de l'Éveil.

    Ce regard sur l’ordinaire, le banal, le négligeable, bref, toutes les choses sur lesquelles nos sens ne s’attardent plus, rejoint la démarche du kufû (un des outils zen exigeant un investissement absolu de l’esprit dans l’action du moment : « l'application dans les tâches ordinaires ») et du koan afin de nous éveiller à la beauté éphémère, à l’importance du détail, à l’élémentaire harmonie.

    Nous sommes devenus des êtres compliqués, perdus dans nos ratiocinations ; l’essentiel est ailleurs. Le haiku aborde cette problématique sous l’angle poétique et esthétique. Il est considéré comme « la fine fleur de toute la culture orientale ».

    C'est le grand poète Bashô qui éleva le haiku à la forme qu'on lui connaît aujourd'hui. Parmi les autres poètes, citons Buson, Issa, Ryokan et Shiki.

    Le haiku évoque souvent la solitude ou le détachement « sabi » et le caractère poignant de la pauvreté « wabi ». Il y est presque toujours question d'une saison : les cerisiers en fleur au printemps, la neige immaculée en hiver ou les branches nues pour l'automne, par exemple.

    Les gardiens des fleurs
    Pour deviser
    Rapprochent leurs têtes chenues (Kyorai)

    Une orchidée du soir
    Cachée dans son parfum
    La blancheur de la fleur (Buson)

    Tout a brûlé
    Heureusement les fleurs
    Avaient achevé de fleurir (Hokushi)

    Herbes de l’été
    Des valeureux guerriers
    La trace d’un songe (Bashô)

    Sur la pointe d’une herbe
    Une fourmi
    Sous le ciel immense (Hosai)

    Le serpent s’esquiva
    Mais le regard qu’il me lança
    Resta dans l’herbe (Kyoshi)

    Ce monde de rosée
    Est un monde de rosée
    Pourtant mais pourtant (Issa)

    Vieil étang
    Au plongeon d’une grenouille
    Ploc ! dans l’eau (Bashô) »

    [À propos de ce dernier haïku, Maurice Coyaud, dans son Livre du haïku (op. cit.), fait la remarque suivante :]

    « [Un débat] qui divise en Occident les traducteurs de haïku. Faut-il respecter le rythme 5-7-5 ? Peut-on jongler avec l'ordre des mots, et dans quelles limites ?
    Personnellement [...] mon principe de traduction est au vers libre, qui seul permet de serrer de près l'ordre des idées. Je respecte donc cet ordre dans toute la mesure du possible [...] même s'il m'arrive de céder (rarement) au plaisir de rimer ou de produire des assonances :

    - Montagne. Rafale / La grêle s'engouffre dans les oreilles / Du cheval (Tairo)

    Car toute liberté a ses limites : au-delà desquelles s'instaure insensiblement une nouvelle forme de contrainte, de pesanteur.

    D'un des plus fameux haïku de Bashô, Nicolas Bouvier donne la traduction suivante :

    Paix du vieil étang
    Une grenouille y plonge
    Un « ploc » dans l'eau

    (Voyage poétique à travers le Japon d'autrefois, Journal de voyage de Bashô.
    Trad. N. Bouvier d'après l'original et la traduction anglaise. Paris, Bibliothèque des Arts, 1976)

    L'original ne contient ni « paix » ni « y ». Le dernier vers (mizu no oto) signifie « bruit de l'eau », simplement. On peut bien sûr le traduire par une onomatopée, « ploc » ou « plouf » ; mais le japonais, pourtant si riche en bruits, n'a pas jugé d'y recourir ici. »

    [Et vous ? Quelle version préférez-vous ? Laquelle vous parle le plus ? ;-)]

     

    « J'évite surtout les traductions trop rhétoriques, du genre :
    - C'est en éternuant / Que je l'ai perdue de vue / Mon alouette
    (Trad. J.P. Attal, d'après un original de Yayû-Blyth. Notes sur le haïku, in Critique, fév. 1967)

    Je préfère que le lecteur établisse lui-même la relation logique :
    - J'éternue / Et perds de vue / L'alouette
    Ou même :
    - J'éternue / Perdue de vue / L'alouette »

     

    [GOSHIN BUDOKAI reprend]

    « Après s’être laissé porter par le charme énigmatique du koan, la poésie du haiku semble moins hermétique. D’ailleurs, certains haiku sont des koan.

    Si tu parviens
    Au sommet de la montagne
    Continue de monter (haiku ou koan ?)

    Quant aux amateurs de poésie moderne, ils ne seront pas du tout dépaysés, le haiku apparaissant fort limpide en regard de certaines œuvres contemporaines.

    Mais quel intérêt procurent les haiku au budoka [1] ? D’abord qui parle d’intérêt puisque le zen est fondamentalement désintéressé (mushotoku).

    [1] Un Budoka est un guerrier au sens noble du terme, un combattant expert en arts martiaux.
    Il ne doit pas être confondu avec budokan (武道館), dojo (道場) où l'on pratique les budō (武道), ces arts martiaux japonais apparus entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècle. Le mot kan signifie maison ; en français, il pourrait donc être traduit par, soit la maison des arts martiaux, ou bien, le lieu/établissement où l'on pratique les arts martiaux (Wikipédia)

     

    Toutefois, comme certains ne conçoivent pas d’activité sans « profit », ne leur refusons pas la matière à leur motivation puisque nous disposons de quoi les combler. Pour une meilleure compréhension, nous pouvons scinder l’esprit selon deux activités principales : activités psychologiques et activités cognitives (ce qui se rapporte à la connaissance).

    D’abord, dans l’art martial comme dans le zen, nous recherchons la vacuité de l’esprit : cela correspond à l’arrêt des pensées, l’ego ayant mis la sourdine, donc à une disponibilité mentale absolue et immédiate.

    Voir Visualisation créative
    Et plus particulièrement : Exercice pratique pour Éteindre le mental

     

    Tout comme l’attaque de l’adversaire, le haiku cherche à nous surprendre (la chute est souvent inattendue) mais n’y parvient pas si notre attention est réelle et totale.

    Il peut donc être utilisé comme entraînement pour apprendre à gérer la surprise ou la feinte de l’adversaire en combat car c’est la même disposition d’esprit qui est requise. Dans les deux cas il faut être sans a priori, réceptif et sans pensées parasites.

    Or, l’individu silencieux intérieurement, donc sans ego ou à l’ego maîtrisé (sage ou éveillé), dispose d’une psychologie sans faiblesse. Les émotions sont absentes chez l’éveillé, dominées chez celui qui approche du satori [2]. En conséquence, ses adversaires ne peuvent percevoir aucun défaut, aucune limite. Évidemment, même un sage a des limites, mais elles sont indécelables car rien chez lui ne fournit la moindre indication : son ego est muet. Il ne faut pas croire que ce pouvoir est réservé à l’élite des arts martiaux : entre le novice qui a tout à découvrir et le grand maître à l’infaillible mental, tous les niveaux intermédiaires peuvent se rencontrer chez ceux qui progressent sur la voie.

    [2] Satori (japonais , issu du chinois  ; pinyin :   ; littéralement : « réaliser ») est un terme des bouddhismes chan, son et zen qui désigne l'éveil spirituel. La signification littérale du mot japonais est « compréhension » (jisho.org). Il est parfois utilisé à la place de kenshō (chinois : 見性 ; pinyin : jiànxìng ; littéralement : « voir la nature/caractère ou propriété »), toutefois kenshō désigne la première perception de la nature de Bouddha ou vraie nature – une expérience qui ne dure pas. Le satori par contre désigne une expérience qui se prolonge, à l'instar d'un bébé qui apprend à marcher – après beaucoup d'efforts il se tient debout, trouve son équilibre et fait quelques pas puis tombe (kenshō). Après un effort prolongé l'enfant se rendra compte un jour qu'il peut marcher tout le temps (satori). Wikipédia.

     

    Ensuite, nous devons entretenir un esprit ouvert, alerte, avide de s’instruire, car la culture est indispensable pour avancer sur la voie de la sagesse. Nous nous sommes déjà frotté à la nécessité de connaître les subtilités du bouddhisme pour résoudre certains koan. Pareillement, l’immersion totale dans la culture japonaise est incontournable si l’on souhaite extraire d’un budo (voir note [1]) ses plus intimes secrets.

    D’une manière générale, une certaine dose de connaissance pure, de culture générale et de savoirs spécialisés est utile à condition de savamment construire un ensemble cohérent et de lui fournir la consistance nécessaire grâce à de multiples savoir-faire. Surtout, ne nous transformons pas en livre, pire en bibliothèque.

    Souvenons-nous de Montaigne :

    « une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. »

    Un psychisme équilibré, serein, disponible est le meilleur outil pour gérer les questionnements de l’existence et il saura nous guider vers la seule solution vraiment appropriée à chaque situation. La connaissance que nous croyons détenir dans notre simulacre d’omniscience est inévitablement tronquée et déformée (notre bibliothèque intérieure est toujours incomplète, abîmée, parfois illisible). Elle mène au mieux à des solutions de compromis ; celles dont l’arrière-goût est toujours amer, maladie moderne de l’à-peu-près. Mieux vaut se donner les moyens de trouver l’information utile au bon moment que de tenter d’acquérir une illusoire érudition. Cependant, comme pour la psychologie, l’adversaire doit ignorer nos limites. Or, plus notre culture est riche, moins l’adversaire a la faculté d’y déceler des failles.

    Dans cette double optique nous devons maintenir notre esprit toujours vide et prêt à s’imbiber comme une éponge. Aussi, pensons donc à l’essorer systématiquement avant et après chaque usage (mokuso). Petite précision au passage : la mémoire n’a pas disparu dans un esprit vide, mais comme l’ego, en sommeil, ne peut ouvrir un dossier stocké en mémoire, aucun souvenir affectif, aucune pensée d’ordre psychologique ne risquent d’encombrer notre conscience. Seule la pensée rationnelle peut s’établir quand l’ego est absent. [...] »

     

     

    Haïku enchanté

    [Je ne sais plus comment j'y suis arrivée, mais je me suis retrouvée à écouter les Haïku Musicaux (« ChantHaïku ») proposés par un certain Jean-Luc De Wachter (voir plus bas, Sources).


    « ChantHaïku ». 6 titres à écouter... sereinement

     

    Nous avons les haïkus en peinture (haïga, voir plus haut chez Buson), pourquoi pas en musique ? Même si je doute de la légitimité de ces « ChantHaïku » (sont-ils issus d'authentiques haïku japonais ?) ils sont superbes ! À écouter lors d'une méditation, par exemple, ou pour simplement se détendre.]

     

     

    Haïku à la française

    [Maurice Coyaud, dans son Livre du haïku (op. cit.), nous rappelle :]

    « La brièveté n'est jamais pour [les haïkistes] une façon de concentrer l'idée. Elle n'est rien d'autre qu'un dire bref.
    Cinq syllabes, puis sept, puis cinq : c'est peu. La concision du microcosme. »

    [Je fais confiance à Maurice Coyaud et me suis appuyée sur ses préférences pour le choix d'extraits d'auteurs français. Évidemment, la liste est loin d'être exhaustive...]

    « Il n'est pas nécessaire d'épiloguer. [Ces trois petits vers] suffisent à dire beaucoup de choses. Les poètes occidentaux sont souvent verbeux. À quelques exceptions près :

     

    Guillaume Apollinaire

    Il arrive à Apollinaire de réussir çà et là quelques « haïku » d'une rare justesse - haïku par l'esprit, s'entend.

    • Dans le brouillard

    Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
    Et son bœuf lentement dans le brouillard d'automne

    • Dans un poème à Lou

    Et les libellules qui sont
    De petites diablesses
    Font l'amour avec les pivoines

    • Amour et érotisme dans un autre poème à Lou

    Nous lirons dans le même lit
    Au livre de ton corps lui-même
    - c'est un livre qu'on lit au lit -

    On peut s'interroger sur le pourquoi de l'absence de l'amour ou de l'érotisme dans le haïku. Ce n'est assurément pas pas pruderie. L'usage non modéré qu'on y fait de la scatologie nous l'indique assez. Alors pudeur ? Peut-être - d'autant que la scatologie semble bien ici être utilisée comme un masque : à la fois révélateur d'une intimité que les cagots * sottement jugent obscènes, et camouflage de cette intimité autre que l'émotion commande de celer :

    Tout droit
    Un trou (j'ai pissé)
    Dans la neige au coin de la maison (Issa)

    Ce qui me paraît clair ici [...] c'est le mécanisme de substitution : le trou dans la neige [...] forme vide qui ne laisse dans la neige que son âme - comme celle du canon.

    Cf. Psychanalyse de l'humour érotique, 1968, G. Legman

    * De l’occitan cagòt, un cagot (féminin cagote), dans le Sud-Ouest de la France, était aussi appelé agote, sur l'autre versant des Pyrénées, en Espagne. Des populations similaires existaient en Bretagne (les caqueux, caquins ou caquous). Il s'agissait de termes dépréciatifs qui désignaient des groupes d'habitants, exerçant des métiers du bois, ou du fer, frappés d'exclusion et de répulsion dans leurs villages surtout en Gascogne et de part et d'autre du Piémont pyrénéen, entre le XIIIe siècle et les temps modernes (en gros entre fin Moyen-âge - fin XVe - et Révolution - fin XVIIIe). La réputation des cagots, affaiblis par la consanguinité, est associée à la peur de la lèpre : ne se mêlant pas au reste de la population, ou exclus par elle, les cagots dont parlent les chroniques étaient vraisemblablement atteints à l'origine, d'une forme de crétinisme, et de lèpre atténuée.
    Dans les sens modernes : classique, qui affecte une dévotion fausse ou exagérée ; polémique, personne affichant une grande rigidité de principes, et très attachée à ses traditions.

    • Dans Alcools

    La nature est belle et touchante
    Pan sifflote dans la forêt
    Les grenouilles humides chantent

    • Mélancolie dans Alcools

    J'ai cueilli ce brin de bruyère
    L'automne est morte souviens-t-en
    Nous ne nous verrons plus sur terre

    [...] Dernières fleurs de l'année [...] Derniers oiseaux de passage :

    Oie, oie sauvage
    Tu l'as fait à quel âge
    Ton premier voyage ? (Issa)

    Ils reviendront ; mais quand donc reviendra l'homme qui meurt ?
    [Apollinaire avoue, avec son brin de bruyère, cette mélancolie, comme celle des haïku de Buson :]

    J'ai coupé la pivoine
    Quel chagrin mortel
    Ce soir

    Devant le chrysanthème blanc
    Ils hésitent un instant
    Les ciseaux

     

    Victor Hugo

    • Un être mystérieux et redoutable dans Magnitudo Parvi

    Il est l'être crépusculaire,
    On a peur de l'apercevoir ;
    Pâtre tant que le jour l'éclaire,
    Fantôme dès que vient le soir

    Le correspondant japonais de cette sorte de loup-garou est le renard, qui le soir se métamorphose et joue des tours pendables aux humains qui s'aventurent sur ses terres. Comme l'être évoqué par Hugo, le renard est un personnage ambigu ; dieu du riz, dont l'influence est bénéfique, mais aussi méchant fauteur de troubles [...]

    Cf. Renarde raseuse, 180 contes populaires du Japon, 1974, trad. M. Coyaud

     

    Jules Renard

    Jules Renard fait des haïku sans le savoir :

    • Dans Histoires naturelles

    Le corbeau : l'accent grave sur le sillon
    Le brochet : immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit
    L'escargot : casanier dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l'escargot bout comme un nez plein
    L'alouette : elle retombe, ivre morte de s'être encore fourrée dans l’œil du soleil

    Un certain Marc Legrand écrit en 1896 : « Jules Renard est un Japonais, mais il est mieux encore, il est un Japonais ému. » Dans son journal, J. Renard note simplement : « Merci. J'accepte. C'est exact, et ça vexera les Chinois. » *

    * Une tradition de « vers lié  » comparable aux styles renga (連歌) à deux vers (7-7) tan-renga (短連歌  « court renga ») et autres (5-7-5) chō-renga (長連歌  « long renga ») des arts littéraires majeurs du Japon pré-moderne, bien que moins évoluée (lián jù 連句), se développe dans la Chine de la dynastie Qin (première dynastie impériale, de 221 à 206 av. J.-C.) ; cette forme chinoise peut avoir influencé le renga japonais au cours de sa période de formation. Il existe cependant de grandes différences entre les deux, les Chinois ayant une unité de sujet et une légèreté générale de ton, deux caractéristiques absentes dans le renga japonais. De plus, l'histoire de la poésie japonaise montre le renga comme une évolution apparemment naturelle (Wikipédia)

     

    Paul Verlaine

    • Un « presque haïku » de Chanson d'Automne 

    Les sanglots longs
    Des violons
    De l'automne

    [On s'arrête là, la suite n'apportant rien de plus : ces 3 premiers vers suffisent pour amorcer l'imagination du lecteur.]

    • Le bref génie de l'instant

    L'étoile du berger tremblote
    Dans l'eau plus noire et le pilote
    Cherche un briquet dans sa culotte

    [...] ce mariage - non forcé - entre éléments « poétiques » (étoile) et « prosaïques » (culotte). Les meilleurs haïku sont souvent le fruit d'un tel accouplement.

     

    Voltaire

    [un] quatrain de Voltaire qui, amputé d'un vers fâcheux vous a dans sa netteté un petit air japonais - la vacherie en plus.

    Un beau jour au fond d'un vallon
    Un serpent piqua Jean Fréron (...)
    Ce fut le serpent qui creva »

     

    À vos calames !

    • Entraînez-vous à écrire des haïku ! Ils vous apprendront la concision, à ne pas en dire trop et surtout à éviter le superflu (si plombant de nos jours dans nos sociétés futiles), comme une sorte de « Yoga de la Parole »

     

    Forts des quelques exemples ci-dessus (il y en a bien d'autres...) il ne vous reste plus qu'à revoir ces quelques principes de base :

    • Gardez en tête rythme 5-7-5. Il n'est pas impératif, mais en « garde-fou » il peut éventuellement vous avertir quand vous allez trop loin (trop de mots)
    • Insistez sur le fond, moins sur la forme.
    • Concision : des phrases courtes, voire des idées (des mots, pas de sujet, etc.) jetés sur le papier en gardant toutefois une certaine cohérence.
    • N'allez pas plus loin que la suggestion ; ne rapportez rien à vous-même, au contraire projetez-vous vers l'objet (qu'il soit physique ou subjectif) de votre haïku.
    • Essayez de créer un effet de surprise ! (alliance de mots par exemple)
    • Pas ou peu de ces petits mots (y, ah, Ô...) qui n'ajoutent rien à la compréhension.

     

    ... Et puis cultivez-vous ! Plus vous comprendrez certaines règles de la poésie (en général) et connaîtrez des histoires et des contes (japonais ou non), plus votre horizon s'ouvrira !

     

    • Inspirez-vous des haïku à travers ce jeu auquel les anciens lettrés chinois se livraient (qui a d'ailleurs donné naissance au haïku *) qui consiste, l'un après l'autre, à compléter la tirade du précédent en suivant une idée directrice, même ténue.

     

    * Bashō reprit le hokku ou premier tercet 5-7-5 comme poème à part entière.

     

     

    Sources

     

    Fourmis sans ombre : le livre du haïku (1978)

    Maurice Coyaud (Éditions Phébus - libretto de 2004)

    Les caractères japonais jalonnant l'article sont tirés de ce livre.

      GOSHIN BUDOKAI (Jacques SERISIER)
     

    Audios de Jean-Luc De Wachter

      

     

    Bonnes lectures et écritures !

     

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